Arménie, l’or et la rouille

Impressions spontanées, images sur la rétine

Partir à vélo, vulnérables, c’est accepter que ce qui vibre et se brise autour réécrive à notre place le tempo. Le vent la pluie le froid. On reste libre encore : de lutter ou de se laisser porter, découvrant alors au virage suivant ce que l’on n’aurait pu la veille imaginer. Sérendipité, encore, ouvrir les bras pour accueillir les jolis présents que l’on ne cherchait pas.

Arménie, attachante. On est touché par les multiples marques d’attention, la joie de vivre revenue, l’humour et la dingue générosité de ce peuple à l’histoire douloureuse et compliquée. Dans nos carnets avec soin nous gardons la trace vive de celles et ceux qui nous ont si bien reçus et tant enseigné, nous en dresserons bientôt quelques sensibles portraits.

Arménie, solaire, or et rouille aux branches d’octobre, les vieilles Lada nous frôlent et ronronnent, au loin se dessinent les lignes oniriques et brumeuses du Mont Arafat, symbole aussi majestueux que douloureusement amer puisque sur le territoire turc depuis 1921.

L’inimitié soudaine du ciel qui pâlit, gronde et déverse sur nos corps transis ses litres de flotte nous vaut la bienveillance des âmes que l’on croisent : pour que l’on tienne le coup, elles glissent tour à tour dans nos sacoches des kilos de pommes, de lavash (immenses galettes cuites au four à bois), de fruits séchées et de noix, du miel, des patates, des oignons et de la vodka.

Malgré ces vivres et notre bel élan, bientôt il ne fait plus bon avancer : tempêtes sombres et pluie glacée, on attend deux jours sur les terres d’un berger indulgent, qui nous abrite dans sa cabane bricolée la nuit où les rafales arrachent presque notre tente.

Scènes singulières de ces jours arméniens :

– l’alternance des voix cristallines de jeunes nonnes et de la grave mélopée des prêtres lors d’une messe bouleversante, rituel presque étranger d’une énigmatique beauté, sous le rayon du lumière oblique et les volutes de fumée.

– au coude plié d’un virage grimpant, quelques notes festives, tout en cordes et en voix, puis projeté en ombres fines sur la plaine vaste, un funambule avance perché sur une bicyclette, dont l’armature délicate prolongeant son corps fuselé semble presque flotter. Nous, bouche-bée : certains ont l’élégance de rouler sans bruit, suspendus à la voûte du ciel, et s’ils ne vont ainsi nulle part c’est une simple corde tendue qui scelle leur promesse d’équilibre.

– l’ombre et la lumière, elles et eux, sopranos, barytons, dans une cavité grandiose que l’on creusa jadis pour y laisser pénétrer une part de Dieu. La nature, le spirituel et ce que chantent les humains, alliance millénaire dans le gavit aux colonnes magistrales, qui fut autrefois un mausolée et qui abrite depuis des centaines d’années la singulière grâce des charakans, les chants religieux arméniens, auxquels désormais se juxtaposent le lyrisme de tous celleux qui viennent ouvrir la voix, regard mi-clos, dans ce lieu magique où nous perdons les mots.

– on nous offre deux fois des coquillettes épicées où surnagent des feuilles de chou pour le petit-déjeuner / dans les steppes nues, les seules toilettes où se cacher sont installées dans une carcasse de voiture amputée de ses portes (flottantes et rêches serpillères…) / Fred se fait embrasser sur la bouche par un vieil arménien qui l’appelle mon frère, aide à dépecer un lièvre et reprend les pas d’une danse traditionnelle / une dame introduit du miel dans le nez et de la vodka dans les oreilles d’Audrey pour la soigner d’un rhume qui persiste / pour fuir la pluie battante, on nous propose de camper au milieu l’immense cuisine d’une maison dont les occupants sont récemment décédés / une femme voûtée nous donne des tomates en sortant du supermarché « parce que vous avez sûrement oublié d’en acheter », drôle et discrète générosité.

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