Ouzbékistan – Double Samarcande, contrepied.

Le vocable mystifié, rêvé, qui s’effrite un peu lorsqu’il est soudain confronté à ce qu’il désigne désormais.

Nous roulons vers Samarcande sur une artère étroite, poussière et bruyante qui convient déjà mal à l’approche de la cité fantasmée.

Tout est dédoublé, car bien sûr je sais que l’on ne marche pas vers l’escale d’autrefois, que cubes fonctionnels, enseignes cliquantes, haies bien peignées et magasins de faux-souvenirs ont défigure au nom de la modernité les lignes claires et les dômes superbes que les caravanes apercevaient de loin, cheminant dans le sable de la route de la Soie.

Je cherche vainement des traces d’Afrosiab, comme on la nommait dans l’Antiquité. Mais c’est aux échos de l’époque timouride que s’abreuve mon rêve : Tamerlan, sa démesure, terrifiant le guerrier aux multiples conquêtes, mais aussi amoureux de l’art et des savoirs, désireux de faire de Samarcande un joyau d’architecture et le cœur de la vie intellectuelle de son empire. J’ai des images en tête, piochées dans des lectures, des dessins, vagabondages dans les traces des explorateurs du 19e….

Je n’attends rien ; j’espère encore. C’est une sorte de pacte apaisé, qui n’a d’autres fins que d’accepter aussi la ville remodelée, le passage des années, la démesure, je dirais presque l’irrespect. L’accepter : savoir que ça existe et le tenir à distance. Alors, peut être, l’émerveillement naïf et entier pourra encore m’emporter. Je pédale doucement, sous la pluie, chahutée par les boursouflures et les couches brisées du tarmac que je ne peux éviter sans frôler les véhicules qui foncent et klaxonnent à nos côtés. Le pouls trop fort, trop sautillant : d’excitation, de peur aussi, ce serait trop bête de crever quelques kilomètres avant un monde tant rêvé.

Aux portes de la vieille ville, en dépit de tous mes raisonnements, ou grâce à eux finalement, j’ai le coeur enlevé : cadence, rapt accéléré. Bonheur ! On entre au hasard dans la cours du premier hôtel croise, et dans mon russe maladroit je négocie pour y camper. On se fera finalement offrir une chambre pour un quart du prix annoncé, Abel le propriétaire est un cycliste et ravi de nous rencontrer, il nous offre le thé, des pâtisseries et sa femme glisse des chocolats dans mon sac quand on part se promener.

Le ciel se teinte d’or et de parme, on marche vers le Registan, la place des sables en persan, centre névralgique de l’ancienne cité, entourée de 3 fabuleuses madrasas, les écoles coraniques. Vision flottante, si précieuse et dessinée pourtant, onirique apparition dans l’écrin trop travaillée d’un aménagement récent épuré. Plus de longues lignes de chameaux, de lames scintillantes, de marchands, d’épices et de turbans, d’interjections confuses et de troupeaux remuants. Plus rien qui ne s’agite et qui vibre dans cet avenant présent. C’est d’une étrange et double irréalité, puisqu’évidemment l’Histoire et des contes se chuchotent et s’amplifient en s’écartant siècle après siècle des arabesques qui les ont vu naître. Les récits au sein desquels j’avais construit un imaginaire forcément décalé ne viennent buter contre aucun nouvelle riche réalité, puisque loin de tout chaos, de toute saillances qui l’aurait ramené vers notre contemporanéité, le Registan fait émerger ses édifices majestueux comme des apparitions déconnectées du temps, de la chair d’une époque et de ses gens.

Il faudra se perdre, apprendre, écouter, s’étonner des filles en jupes courtes après des mois à ne les croiser dans les villages que vêtues de tuniques longues sur oantalons, écrire, lire, dessiner , rencontrer ses jeunes qui se disent Tadjiks, Russes, Azéri, Ouzbeks, car la ville brasse encore multiples cultures et identités, observer la vie minuscule bruisser, siroter une dizaine de thé, bavarder des heures au couchant avec nos hôtes et nos amis cyclos, pour saisir un peu ce qui raconte aujourd’hui Samarcande habitée.

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