Solstice
(Écrit par Audrey, sur le carnet puis le petit écran du téléphone, donc un peu croche et avec des fautes volatiles)
La veille nous dormons entre les arbres : le gardien du club de tennis nous a laissé les clés du lieu, sans curiosité peut être mais sans hésitation, avec une générosité déconcertante, prompte et dépourvue d’atours. Je volette à sa suite : ici tu trouveras les douches, là les toilettes sers toi du savon du shampoing du papier, près de la porte un accès à l’électricité et derrière la cabane ton campement tu peux monter. Il disparaît, le portique se ferme. Dans la quiétude, seuls et ensemble on se donne du temps, écrire encore, rêver et lire, c’est une nuit pleine et douce qui nous prend.
Solstice. Au matin du jour le plus long, à l’ombre des tilleuls parfumés nous oublions dans un sommeil paisible la caresse du premier soleil qui souvent nous réveille à l’aube.
Tout est plus lent lorsque l’on vit nomade, et les habituelles tâches quotidiennes s’étirent : laver le linge, préparer le repas, se doucher, établir le campement… Aucun attribut de la modernité pour prendre le relai et en accélérer l’accomplissement, faire ainsi c’est se donner entièrement et chacune de ses étapes nous prend bien du temps. Pourtant les contraintes n’en sont plus, et c’est bon soudain de vivre dans ce présent. Libérés du travail, on savoure les répétitifs gestes qu’autrefois on nommait corvées, pas lassés encore des formes de cette vie nouvelle.
Solstice, au creux d’un matin tardif nous nous sentons heureux, même dans la poussière d’un ancien chemin de fer à l’air trop étouffant, entre les rizières monotones d’un vert tendre, humide de moustiques hagards et affamés. Midi et une minute peut-être, le soleil blanc et dur au dessus de nous plane : oh l’ironie ! à cet instant je crève, le pneu s’érafle dans la masse de pierres du sentier abîmé. Sur notre butte, aucune ombre ne nous repose, il faut sous les rayons perpendiculaires et brûlants changer la chambre à air, vite, on réparera le trou plus tard. On repart dans l’autre sens, peut être que la route sera plus plaisante, il faut déjouer les systèmes changeants de cotations, ma que casino, un tracé blanc paisible sur un plan sera orange dense sur l’autre, les voitures pressées nous frôlent parfois, puis voilà un camion, un autre gargantuesque qui vomit sur nous sa polluante fumée. Terreur, nous fuyons, et après bien des courbes retrouvons la bonne mesure, celle de l’asphalte presque lisse et de la vraie tranquillité, petites routes d’arrière pays reliant sans ordre ni logique les fermes et les hameaux tristement désertés. L’exode qui place des planches aux fenêtres brisées et fait pleurer les vieux pétris de solitude… La violente beauté de ces commerces à l’abandon, et les places où ne coulent plus que la vie des fontaines. L’itinéraire s’allonge, mais rien ne presse, il faut se défaire des habitudes de la vie d’avant, accepter la marche à l’inconnu, les détours, l’imprévu.
Solstice, les heures s’écoulent, Pavia surgit soudain toute paisible et pavée, la fraîcheur des arcades nous happe, un caffè longo e un cappuccino, dolce vita nostra, on griffonne les foules nonchalantes qui passent, le Duomo, la rumeur joyeuse du lieu. Il fait bon vivre ici, ruelles verdoyantes, façades ouvragées, cours-arrière animées et boutiques élégantes. Une libraire me touche, plus loin un atelier. On serait bien rester, mais sans hôtes on peut peut passer la soirée en ville.
Alors on remonte, c’est l’heure d’or, le corps épuisé d’un heureux sursaut se remet en selle et pédale, les rivières deviennent de magiques forêts, des champs et des vergers, le blé est blond déjà et les églises ont la chaleur ocre de la brique, devant nous, les contours bleutés encore des Appenins qui s’éloignent, et le fleuve Pô si large et majestueux, quelques îles de sable qui dorment pres du rivage.
Il est déjà presque 21h et la lumière décline, il faut trouver un lieu, on hésite, avance encore un peu. Un hameau, j’arrête une dame qui vivement entraîne sa petite fille par la main, pour demander si peutetre elles sauraient l’on nous pourrions camper cette nuit. Tout s’emballe, Isabela enjouée nous entraîne chez ses parents surpris de notre allure dépeignée et poisseuse, on nous offre une place sur le terrain, la douche, et puis c’est toute la famille qui tour a tour débarque, et veut nous sustenter,on rit, debout dans l’herbe haute où les moustiques s’affolent nous mangeons la pizza, du chocolat, une glace à l’eau.
Reconnaissants, radieux, nous nous apprêtons à dormir quand à la nuit tombée revient Paolo, le père de Susana, pour nous offrir le souper dans leur cuisine d’été, jolie bicoque amoureusement décorée, de l’autre côté de la rue on visite l’étroite et haute maison de la Nonna que depuis des années ils prennent soin de restaurer. Trois pièces empilées aux poutres de bois centenaires, les parents dorment sur le moelleux canapé : sous les combles depuis mai il fait déjà trop chaud. Paolo enthousiaste veut transmettre à Fred l’art de la vraie pasta italiana, je converse avec Isabela, io fait nuit noire désormais et les langues se délient, touchante elle me confie ses peines son ventre qui saigne et l’unique rein de son unique enfant, petite plume d’à peine un kilo à la naissance. Les hommes dans la cuisine et les femmes au salon, c’est doux aussi ce renversement ici si naturel de plus traditionnelles positions.
Solstice. Le cœur plein on les quitte, minuit sonne au clocher éclairé par le croissant de Lune, le visage d’opale Isabela nous tend un sac de papier : dedans, la Moca, la précieuse cafetière miniature que par économie de poids et peut être d’argent nous hésitions temps à acheter. Belle étoile, oh la bonté des gens, encore étourdis de notre chance on rejoins notre toile tendue, serrés, enlacés, gardant à l’encre d’un carnet ces histoires magiques, pour les jours peut-être où la lumière chiche, loin du plantureux solstice viendrait à nous manquer.
Quelle jolie plume que la tienne, un plaisir de te lire, de vous suivre, de découvrir…presque avec vous, ces contrées, ces paysages. Merci.
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